• article 2) Perdons-nous connaissance? première partie suite chapitres 3 et 4

    article 2) Perdons-nous connaissance? 

     Ma lecture du livre Perdons-nous connaissance? de Lionel Naccache:

    première partie suite chapitres 3 et 4

                   

     

    fr.wikipedia.org/wiki/Arbre_de_la_connaissance_du_bien_et_du_mal

    http://www.centrebethanie.org/2016/09/l-arbre-de-la-connaissance.html

     

     

     

    J'écris mon blog pour partager ma soif de connaissances, mes réflexions et mes passions et mes lectures. Dans ces articles, je voudrais partager "ma lecture" du livre de Lionel Naccache  "Perdons-nous connaissance?". Ecrire ce que je retiens de mes lectures me permet de réfléchir à la compréhension que j'en ai. je mets entre guillemets les passages qui me semblent importants ou qui me frappent. Et par dessus tout je fais des recherches sur internet pour compléter ma lecture avec le maximum de liens que je souhaite responsables, qui permettent aux lecteurs d'approfondir la connaissance du sujet.   

     

     

     Ma lecture du livre Perdons-nous connaissance? de Lionel Naccache: c'est-à-dire perdons-nous le sens de ce qu'est la connaissance (philosophie) alors que nous nous autoproclamons " société de la connaissance "? Aujourd'hui, la connaissance ne fait plus peur à personne, alors que depuis trois mille ans notre culture occidentale n'a cessé de la décrire comme vitale et dangereuse. Oui, dangereuse, qui s'en sou-vient encore? Cette rupture avec notre héritage constitue-t-elle un progrès ou une régression, une chute ou une ascension? La Mythologie et la Neurologie, sources de " connaissance de la connaissance ", nous offriront de précieuses clés pour résoudre ce paradoxe inédit dans l'histoire de la pensée. 

     
    Préambule: Pourquoi cette question "Perdons-nos connaissance?" alors que nous avons cette merveilleuse faculté qui nous semble aller de soi, la capacité de connaître ce que nous ne connaissions pas encore à l'instant qui précédait. Notre société s'autoproclame en effet "société de la connaissancecomme elle ne l'avait jamais fait auparavant. Et pourtant, depuis les origines de notre culture, la connaissance est représentée comme un danger, un "poison vital". Elle serait porteuse d'un certain danger existentiel qui a imprégné notre culture depuis plus de 3 000 ans jusqu'à l'époque moderne avec le siècle des Lumières que Bertrand Vergely a appelées "obscures Lumières", et dont j'ai présenté ma lecture dans l'article de mon blog. Ce danger multi-millénaire s'est exprimé dans trois grands mythes qui ont façonné notre civilisation.Les chapitres que nous avons vus dans l'article 1:

    1) Avant-propos. 1-1) Adam et Ève face à l'arbre de la connaissance. 1-2) Le tragique destin d'Icare1-3) L'allégorie de la caverne de Platon. 1-4) La figure de Faust.

    2) Ma lecture du livre de Lionel Naccache. Première partie; une menace vieille comme le monde

    2-1) La connaissance menace Athènes l'éternelle -chapitre 1-  

    2-1-1) I comme Icare est significatif pour la problématique de la connaissance. Pour l'instant retenons que Icare vient de nous enseigner que connaître sans limites est une démesure  condamnable et dangereuse. Cette menace ainsi stigmatisée semble engager l'individu dans son rapport personnel et solitaire avec la connaissance.

    2-1-2) L'homme qui en savait trop. chapitre 1 suite: la connaissance menace Athènes Conclusion: Pour

     Platon et Socrate, l'homme de connaissance serait l'inévitable victime de la violence du groupe qui l'entoure. Icare nous montrait les risques du rapport de l'individu face à la connaissance. Ici, Platon nous indique que l'homme qui connaît est également vécu comme une menace par ses congénères et que cette menace conduit à la disparition inéluctable de celui qui connaît, incapable de transmettre son savoir. Cela conduit à la préservation de l'ignorance, le fondement et la garantie de d'une certaine forme de paix ou de confort social. 2-2) La connaissance menace Jérusalem -chapitre 2-
    2-2-1) Du paradis perdu au Pardes retrouvé."Le Pardès, littéralement jardin, verger, parc, qui s'apparente au mot paradis, désigne, dans la tradition de la Kabbale, un lieu où l'étudiant de la Torah peut atteindre un état de béatitude. Ce terme est tiré d'une anecdote philosophique et mystique qui trouve une explication dans le Pardes Rimonim du Rav Moshe Cordovero. Celui-ci prend l'image de quatre rabbis (Elisha ben Abouya, [Rabbi] Shimon ben Azzaï, [Rabbi] Shimon ben Zoma et rabbi Akiva) pénétrant un verger mais dont les "niveaux" respectifs de pénétration du sens des Écritures ne sont pas équivalents". Ainsi, après intérieure et la paix sociale, voici que la paix des ménages est en péril!

    2-2-2) Vie et destin de quatre talmudistes en quête de connaissance
    2-2-3) Vie et destin de quatre talmudistes en quête de connaissance suite: le cas de rabbi Akiva -La connaissance? Une vraie boucherie! Conclusion: A ses amis qui lui recommandaient de de se protéger et de suspendre l'enseignement de ses connaissances à la jeunesse de Jérusalem, Rabbi Avika répondait par une parabole: "Un renard, voyant un poisson se débattre pour échapper aux filets des pêcheurs, lui dit "Poisson, mon ami, ne viendrais-tu pas vivre avec moi sur la terre ferme?" Le poisson lui répond: "Renard, on te dit le plus sage, mais en réalité, tu es le sot des animaux. Si vivre dans l'eau qui est mon élément m'est difficile, que crois-tu qu'il en serait sur la terre?" Ce que l'eau est au poisson, la Torah l'est à Akiva. La connaissance semble ici prendre l'aspect de ce "poison vital". N'y a t-il pas ici une impression de déjà-vu? Les allégories sur la connaissance s'avèrent d'une troublante convergence entre Athènes (aux chapitres 2-1-1 avec Icare et chapitre 2-1-2 avec Platon et Socrate) et Jérusalem. Le mythe d'Icare se rapproche des dangers d'une trop grande proximité de l'individu avec la connaissance à laquelle répondent les sombres péripéties de Ben Azaï, Ben Zoma et A'her dans le jardin du Pardès et celles d'Adam et Eve dans le jardin d'Eden. Par contre, à l'allégorie platonicienne de la caverne, qui, comme  on l'a vu, représente la violence du groupe social à l'encontre de ceux qui répandent leur connaissance "corrosive pour la jeunesse", comme Socrate, répond le tragique destin de Rabbi Akiva, qui ne cessa pas, ce que Tumus Rufus lui fit payer très cher, de "corrompre la jeunesse de Jérusalem". On voit donc avec Lionel Naccache que ce n'est pas seulement dans les histoires que la connaissance tue !Ainsi se termine ma lecture de l'Avant - propos et première partie chapitres 1 et 2 du livre de Lionel Naccache "Perdons-nous connaissance?

    Je poursuis ma lecture avec mon article 2 dans lequel nous allons voir comment après la Grèce et Jérusalem, la connaissance menace outre-Rhin avec Johann Georg Sabellicus Alias Docteur Faust, avant d'examiner le chapitre 4: "Des mythes à l a réalité ou l'art de la mauvaise solution", qui précède ce qu'on connait de nos jours, "bienvenue dans la société de la connaissance" où connaissance et information sont confondues peut-être pour le meilleur et... pour le pire.


     1) Le mythe de faust (Première partie une menace vieille comme le monde suitechapitre 3 la connaissance menace outre-Rhin).

         1-1) Nous sommes tous des Johann Georg Sabellicus, alias Docteur Faust. 

     

    Guy Lerdung, photographe:  amisdesjardinsfamiliauxdesaverne.fr: méphisto brise la nuque de Faust, une fois le pacte écoulé


    C'est notre troisième et dernière excursion à la poursuite des sources historiques de ce concept de connaissance mortelle dont la présence remonte à des temps immémoriaux et qui est immortalisé par le mythe du fruit défendu goûté par Adam et Eve. Elle va nous conduire à explorer une odyssée dont le premier épisode s'est déroulé, dit lionel Naccache, "dans un ancien médiéval du sud-ouest de l'Allemagne, le duché de Wurtemberg [...] dans le village de Knittligen où serait né, vers 1480, Johann Georg Sabellicus. 

    Les données biographiques sont éparses et fragmentaires. Johann devient un fin lettré, alchimiste à ses heures. D'après le site s.ecriture.over-blog.com, "pour découvrir l'origine de ce mythe hors du commun, il faut remonter loin dans l’histoire. On suppose que la légende s’appuie sur la vie d’un certain Johann Georg Sabellicus surnommé Maître ou Docteur Faust. A-t-il existé ou non ? Personne ne peut l’affirmer. Il aurait étudié la « magie surnaturelle » à l’université de Cracovie en Pologne. On l’a ensuite accusé de pratiquer la magie noire. Méprisé par les réformateurs religieux tels Luther et Melanchthon qui le croyaient « possédé par le Démon », il avait tout de même réussi à s’entourer de fidèles adeptes et leur enseignait même les bases de sa croyance. Après quelques temps, il fut accusé de maltraiter ses étudiants et il quitta l’université où il enseignait pour éviter d’avoir affaire à la Justice."  Selon Lionel Naccache, d'autres images de son existence,  évanescentes et floues proviennent de l'université d'Erfuten Thuringeévêché catholique, en remontant vers le nord. Il ferait apparaître à ses élèves les fantômes de Priam, d'Achille et d'Ulysse tout en leur enseignant les poèmes d'Homère et en faisant participer à la fête le cyclope Polyphème qui emporterait selon son bon plaisir un ou deux étudiants arrachés  de leurs bancs! Peur sur la ville! renchérit L. Naccache. Il rajoute que Sabellicus aurait confié à un moins franciscain: "Je suis allé plus loin que vous ne le pensez". Ce témoignage clérical, donc à l'abri de tout soupçon à l'époque, sera enrichi d'une fin de phrase en conformité avec les intentions des juges chargés d'instruire son procès en sorcellerie: "j"ai fait une promesse au démon avec mon propre sang, d'être sien dans l'éternité, corps et âme". Et c'est ainsi que Johann Georg Sabellicus va être mis à mort en 1540 sur la place publique de Staufen en Breisgau et son cadavre déchiqueté exposé aux bonnes gens de Staufen. Dans son site, Guy Lerdung, nous dit::"Dans ces ruelles tortueuses a vécu le légendaire mage et alchimiste docteur Faust auquel les seigneurs de Staufen ont fait appel afin de leur fabriquer de l´or. C'est dans l'auberge historique "Zum Löwen“ que vécut le docteur Faust jusqu´à sa mort. C´est ici qu´il fût rappelé en l´an 1539 par Mephisto, un des principaux disciples du diable. Une peinture sur la façade montre Mephisto brisant la nuque à Faust.


    Autres visions: 

    Faust vu par Wikipedia. Faust, "héros d'un conte populaire allemand ayant rencontré du succès au xvie siècle, à l'origine de nombreuses réinterprétations. Cette histoire raconte le destin de Faust, un savant déçu par l'aporie à laquelle le condamne son art, qui contracte un pacte avec le Diable. Ce dernier met au service de Faust un de ses Esprits - dit Méphistophélès, afin de lui procurer un serviteur humain, l'étudiant Wagner. Wagner devient son famulus - et lui offre une seconde vie, tournée cette fois vers les plaisirs sensibles, au prix de son âme. Dans la plupart des versions populaires du récit fantastique, l’âme de Faust est damnée après sa mort, qui suit une longue période durant laquelle le Diable a exaucé la plupart de ses vœux.

    Dans fabula.org André Dabezies retrace cinq siècles de production littéraire.   l’ouvrage s’organise selon un ordonnancement chronologique — du xvie siècle au début des années 2000 — et tient compte de l’historicité du mythe et de ses réécritures, une donnée essentielle car, comme le souligne l’auteur, le « contexte historique, sociologique et (inter)culturel » est primordial en ce que les œuvres en « reflètent plus ou moins l’actualité »

    Faust, de la damnation médiévale à la consécration romantique".

    Pour le site philophil.comnous somme à nouveau dans le cadre de la dangerosité de la dangerosité que représente la connaissance: "[...] Le héros de la quête du savoir... Mais le mythe de Faust est aspiré par la dynamique de la Renaissance qui valorise la quête du savoir. Faust devient un héros de la connaissance assoiffé d’expériences. La veine romantique en fait l’incarnation de la condition humaine écartelée entre le plaisir immédiat et des aspirations plus audacieuses. Dans la version de Goethe le pacte avec le diable prend la forme d’un simple pari ( inspiré du livre de Job) : le diable parviendra-t-il à détourner les nobles aspirations de Faust vers la bestialité des plaisirs sensuels, les satisfactions matérielles et le plaisir de détruire? Dans la version finale du Faust de Goethe, Faust est sauvé : un cortège d’anges escorte son âme vers la lumière « celui qui s’efforce toujours et cherche dans la peine, nous pouvons le sauver ». 

    Avec cosmovisions.com, "La tradition représente Faust comme un magicien et nécromancien fameux, originaire de Kundlingen en Wurtemberg, ou de Roda près de Weimar, et qui aurait vécu à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe. On le fait étudier d'abord à Ingolstadt, puis à Wittemberg en Saxe, et on lui donne toutes les connaissances cultivées de son temps, théologie, jurisprudence, philosophie, astronomie; il s'attacha surtout aux sciences occultes, telles que l'astrologie, la chiromancie, la démonologie. Un oncle riche lui ayant légué sa fortune, il en profita pour se livrer à tous les genres d'excès quand son patrimoine fut épuisé, il fit, selon la légende, un pacte de 24 ans avec le Diable. Il reçut de lui pour serviteur le démon Méphistophélès, qui apparut sous la forme d'un petit moine gris, avec lequel il voyagea et mena une vie de plaisir. A l'expiration du pacte, Faust fut emporté par Satan, à Limling en Wurtemberg. C'est vers 1550 qu'on place cet événement. On donne pour amante à Faust l'innocente Marguerite, qu'il avait séduite, et pour compagnon un fidèle valet, Wagner, qui lui aussi avait un démon particulier, Auerhahn. On a parfois dit que Faust n'est autre que Jean Fust de Mayence, un des inventeurs de l'imprimerie, dont la vie aurait été défigurée par les contes populaires".


    Epilogue à ce chapitre.

    Quelle que soit la version exacte, de tout ceci, Sybellicus, alias Faust, n'avait certainement qu'à s'en prendre à lui-même. Il était fin lettré, alors n'aurait-t-il pas pu ou dû relire la mythologie grecque et les récits allégoriques de la Bible et du Talmutd, ou même faire attention aux best-sellers médiévaux se demande L. Naccache? En particulier, le Manuel des Inquisiteursrédigé en latin par l'inquisiteur Nicolas Eymerich en 1376 et enrichi par le juriste Francisco Peña en 1578 n'expliquait-il pas, sans aucune équivoque possible, "qu"il ne faut poins savoir plus que de mesure, il ne faut ni trop savoir, ni s'abrutir. Par conséquent, nous ne devons pas en savoir plus qu'il ne faut." 

    C'est du temps de son magistère universitaire que le Docteur Johann Georg Sabellicus avait été "affublé" de ce surnom propre à effrayer les étudiants: "le docteur au poing fermé", le docteur "Faust" en allemand. C'est là que de Sabellicus au Dr Faust, nous nous retrouvons face à l'un des plus grands mythes de la culture européenne. Il s'inscrit naturellement dans la recherche de "Perdons-nous connaissance?". En effet, tout d'abord, il recèle un discours sur les méfaits de la connaissance dont l'atteinte de la satiété ne semble possible qu'avec la disparition de celui qui s'y livre. Ensuite, il y a ce "maquillage" diabolique et hérétique du Dr Faust, coupable d'un pacte avec le démon, comparable à ce qu'on trouve chez ces fous de connaissance dans la culture européenne depuis le moyen-âge jusqu'à la renaissance et même jusqu'aux Lumières. Enfin, ce mythe présente avec nous une proximité historique plus grande que celle des récits bibliques, de "la voix d'Athènes" ou des pages talmudiques rédigées lors des premiers siècles, car si la légende de Sabellicus s'enracine dans le moyen-âge terminal, elle ne naît véritablement que vers la fin du XVIè siècle et ne cesse plus depuis lors d'inspirer les artistes, les musiciens, les écrivains et les créateurs. C'est probablement, le pense Lionel Naccache, le pont le plus précieux qui nous permet d'établir une continuité directe entre les considérations plus antiques que nous avons examinées sur le pouvoir mortifère de la connaissance et notre époque actuelle.


         1-2) Variations faustiennes, morceaux choisis. 

    Dans cette illustration de la Haggadah, les rabbins ne sont pas quatre, mais cinq

    https://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0710250810.html


    La première version écrite du mythe paraît plusieurs décennies après la mort de Sabellicus avec le Faustbuch (ou livre de Faust), un livre de colportage publié par Johan Spies en 1587. Le texte fait fureur, il est lu et raconté dans les villes et villages et mis en scène par des troupes de comédiens ambulants et des marionnettistes. Le dramaturge élizabethain  Cristopher Marlowe l'adapte et le traduit en anglais sous le titre The Tragical History of Doctor Faustus (voir la pièce en ebook ici) entre 1589 et 1592. Le mythe, désormais clair, est l'histoire exemplaire de la damnation d'un savant qui ne pouvant résister à sa soif absolue de connaissance, n'hésite pas à signer un pacte avec le diable (ici Méphistophélès), qui lui livre l'accès aux secrets de la connaissance durant 24 années. On y trouve une étonnante vision du paradis! Après les quatre qui entrèrent au Pardès que nous avons rencontrés dans mon article 1 au chapitre 2-2-2, Faust serait-il le cinquième visiteur du Pardès (autrement dit du Paradis)? Finalement, son âme à lui, sera dévorée à jamais par les flammes de l'enfer.Cette identification de la connaissance aux forces démoniaques à l'époque médiévale signifie t-elle un "retour du refoulé?". Le démoniaque n'est-il pas le daïmon de Socrate que la scolastique médiévale connaissait certainement.  ["Un [...] démon familier [...] est, dans bon nombre de croyances d'Europe occidentale, une entité, animal ou esprit, parfois imaginaire et invisible, à laquelle les hommes s'adressent pour demander des conseils ou obtenir des services, en particulier liés à la sorcellerie".] Le pacte de  Faust avec le diable est une "injection de rappel" qui nous dit: "Ne faites point comme Faust qui a voulu en savoir trop, sinon vous tomberez dans l'univers du démo. Or l'horrible et terrifiant démon, ne l'oubliez pas, n'est autre qu'une créature marquée par un excès de connaissance, un daïmon". 

    Après le Faustbuch et la version de Marlowe naissent d'innombrables adaptations littéraires, musicales, cinématographiques qui vont marquer notre culture européenne. C'est Goethe qui donnera un souffle poétique et romantique au mythe en introduisant le personnage féminin de Marguerite que nous avons au chapitre 1-1 avec le site  cosmovisions.com où on donne pour amante à Faust l'innocente Marguerite, objet de sa passion amoureuse. Cela le rapproche du mythe de Dom Juan avec lequel il partage de nombreuses autres similitudes. A ce sujet, consulter l'ouvrage de Jean-Pierre Winter "Les errants de la chair: Etudes sur l'hystérie masculine". Des ponts y sont jetés entre les figures du Marrane, de Dom Juan et de Faust.

    Avant de quitter Goethe, il faut aussi consulter le faust de Goethe, ses origines et ses formes successives.et  Méphistophélès, "le célèbre démon qui rend visite au docteur Faust dans l’opéra de Goethe et qui le tente. Dans la légende de Faust, on le fait passer pour un démon primitif, un démon de bas-étage, alors qu’il est en fait l’un des 7 princes des Enfers".

    Voyons maintenant comment plus d'un siècle plus tard, en 1947, Thomas Mann livrera son "Doktor Faustus" rédigé durant son exil californien en 1943.


         1-3) Le Doktor Faustus est mort à Büchel en 1940.

    Thomas Mann (1875 -1955) "est l'une des figures les plus éminentes de la littérature européenne de la première moitié du xxe siècle et est considéré comme un grand écrivain moderne de la décadence. Rompant peu à peu avec les formes littéraires traditionnelles, ses ouvrages comprenant romans, nouvelles et essais, font appel aux domaines des sciences humaines (histoire, philosophie, politique, analyse littéraire) pour produire une image du siècle et de ses bouleversements. Son œuvre, influencée par Arthur Schopenhauer, est centrée sur l'étude des rapports entre l'individu et la société". Il établit des liens forts avec les versions antiques concernant la connaissance mortifère et une synthèse des 3 niveaux de menace que nous avons vus dans mon article 1

    -au chapitre 2-1-1, menace stigmatisée qui semble engager l'individu dans son rapport personnel et solitaire avec la connaissance.
    -au chapitre 2-1-2, 
     menace contre le groupe de l'homme qui connaît, vécue comme une menace par ses congénères, menace qui conduit à la disparition inéluctable de celui qui connaît, incapable de transmettre son savoir. Cela conduit à la préservation de l'ignorance, le fondement et la garantie de d'une certaine forme de paix ou de confort social.
    -au chapitre 2-1-3, 
     Menace contre Eros et le couple. Après la paix intérieure et la paix sociale, voici que la paix des ménages est en péril !

    Mais nous dit Lionel Naccache, le plus important, c'est que "Mann "déniaise" ce mythe de la catéchèse infantile qui habitait l'ensemble de ses versions antérieures. La menace avec Satan devient totalement intériorisée  Plus de pacte avec Satan i d'autre supercherie médiévale". C'est en fait un rapprochement avec les conceptions antiques du danger de la connaissance  qui étaient naturelles et pas dues à un sortilège ou une malédiction. Icare tombe en raison de la fonte de la cire qui cimentait les plumes de ses ailes, argument physico-chimique au sein même de la mythologie grecque qui faisait pourtant entrer l'irrationnel propre au surnaturel. Quant à Rabbi Akiva, lorsque ses lambeaux de chair pendent aux étals de boucherie, ce n'est pas l'oeuvre du diable ou de ses créatures, mais celle des légionnaires romains. 

    De Même, Thomas Mann "sécularise et natularise la question de la connaissance mortifère". Chez lui, le Dr Faustus s'appelle Adrian Leverkhün, dont l'existence sera marquée par l'audace (Khün en allemand) et qui, comme Nietzsche, braverait la folie. C'est un musicien de génie; pétri de philosophie théologique, inventeur de la musique dodécaphonique (en réalité par Arnold Schönberg). Dans l'oeuvre, la vie de Leverkhün/Faust est narrée par son ami d'enfance Serenus Zeitblom; "pieux admirateur de son génie et authentique gentilhomme humaniste, citoyen désenchanté du IIIè Reich". Ce dernier, en fait, habite l'ensemble de l'oeuvre où Mann assoit clairement sa position antinazie. Zeitblom naît en 1883, devient docteur en philosophie et théologien, marié à Hélène et père de 3 enfants. Il est catholique, né dans une bourgeoisie "à moitié savante"? Son père anime un petit salon où participent le ciré et la rabbin, ce qui précise Mann n'eût pas été possible dans les milieux protestants (une "pique" vis à vis de l'irascible Luther). Puis un peu plus loin, Zeitblom dit à propos de la catastrophe qui guette sa nation (l'action du roman débute le 27 mai 1943): "Plus redoutable que la défaite allemande serait la victoire allemande". Cette fois c'est au Reich que Mann s'en prend. 

    Leverkhün/Faust, génie créateur fait passer la curiosité de l'esprit au-delà même de l'amour. La lecture qu'a L. Naccache du récit que fait Mann à propos de ce compositeur qui plonge à l'origine de la polyphonie pour inventer de nouvelles sonorités nous ramène à une métaphore du retour aux origines du mythe Faustien. La création musicale de Leverkhün y serait pour Mann l'une des modalités les plus élevées de la connaissance et elle reçoit immédiatement une connotation sacrilège et hérétique. Ce serait en précurseur des neurosciences de la subjectivité (comme le suggère l'épisode de la syphilis cérébrale), que Thomas Mann avait perçu que connaître procède d''avantage de la création (artistique, scientifique ou autre), que de la découverte. 

    Vient alors la version contemporaine du pacte avec Méphistophélès décrit dans les pages 54 à 56 de "Perdons-nous connaissance": Cherchant une auberge, Adrian Leverkhün tombe entre les mains d'un type louche avec une barbiche qui qui l'oriente vers un bordel où il découvre "une brunette au nez retroussé" qu'il surnomme Esmeralda. Adrian s'enfuit aussitôt; mais Esméralda s'est inscrite dans son esprit et cela l'obsède. Il retourne au lupanar, à Leipzig, mais elle partie dans une autre maison de filles, en Hongrie , suite à un traitement médical. C'est là qu'il retrouve, mais elle lui avoue être syphilitique et contagieuse. Mais, de même qu'il va au-delà des menaces de son exploration de la connaissance musicale, il va au-delà de cette menace. Adrian aime Esméralda et il fait sa connaissance, au sens biblique du terme, puis repart, mais en ayant contracté la syphilis. Le chancre se développe, Adrian consulte un médecin qui meurt 4 jours plus tard. Il s'appelait de Dr Erasmi (référence à Erasme l'humaniste, dont la conception de la connaissance aurait pu peut-être le sauver?). Un second médecin est arrêté devant son immeuble et il n'a que le temps de deviner le sourire inscrit sur ses lèvres (Méphistophèlès lui-même?) Alors, il ne se soigne plus et développe une forme de syphilis cérébrale, la syphilis tertiaire avec des complications neurologiques et surtout neuropsychiatriques. 

    On a vu que Le Dr Faustus est une biographie fictive d'un musicien, Adrian Leverkühn (1885-1940), racontée par son ami de longue date Serenus Zeitblom : celui-ci commence la rédaction du récit le 23 mai 1943, soit un peu plus de deux ans après la mort du compositeur, et la termine en 1945. ce n'est qu'après son décès que ce texte, censé être confidentiel tombe entre les mains de Zeiblom (qui ne manquera pas de le publier dans le roman de Mann en bon contemporain de Max Brod nous dit L. Naccache). Leverkhün, qui a écrit a postériori le récit de son hallucination, est alors partagé entre crédulité et conscience du délire. Il est en train de lire seul, l'essai de Kierkegaard sur Don Juan (nouvelle allusion aux liens entre les deux mythes) alors que l'un de ses rares amis Shildknapp vient juste de le quitter. Soudain, un froid cinglant vient le saisit et une fenêtre s'ouvre alors sur le gel du dehors... Shildknapp a dû revenir, car il n'est plus seul... Mais ce n'est pas Shildknapp, c'est méphistophélès en personne Il est assis au coin du sofa, les jambes croisées. Ce dernier fait déjà preuve (on n'est alors que dans les années 1910) d'un nationalisme assez prononcé; "Ne parle qu'allemand ! [...] Il y des moments où je ne comprends que l'allemand!" Puis, dans un long et profond dialogue Méphistophélès expose à Leverkhün la nature de son infection, notamment le fait qu'il soit porteur d'un foyer infectieux cérébral.  La géniale réplique de Leverkhün résonnera, nous le verrons un peu plus tard, dans une signification visionnaire, lorsque nous plongerons dans le domaine des "neurosciences fictions": "Ah! Je t'y prends, idiot! Tu te trahis et tu m'indiques toi-même le point de mon cerveau, le foyer fébrile qui crée l'hallucination de ta présence et sans lequel tu ne serais pas. Tu trahis ainsi, que dans mon trouble, si je te vois et t'entends, il est vrai, tu n'es pourtant qu'un fantasme devant mes yeux." Et, quelques pages plus soin, le pacte est scellé: "L'illumination laissera intactes jusqu'à la fin tes forces intellectuelles: même, elle les stimuleras par périodes jusqu'à la transe clairvoyante". Puis Leverkhün perd brièvement connaissance (au cours d'une crise d'épilepsie du lobe temporel. A son réveil, Shildknapp, qui en fait était encore là et ne s'était aperçu de rien et à nouveau à ses côtés. 

    L. Naccache signele ici que "Man a replongé dans les sources médiévales du mythe pour en livrer une version contemporaine, cependant fidèle à la tradition originelle". Cela permet une relation directe avec avec la tradition grecque et judéo-chrétienne qui déjà a été évoquée dans mon article 1 avec les trois formes de connaissance:  Chez Icare ont été identifiés les dangers inhérents à notre rapport individuel à la connaissance; Dans la caverne de Platon, c'est une menace de la stabilité de la collectivité humaine. Dans le récit biblique, la loi a été formulée pour et à deux êtres qui cohabitent; ici, après intérieure et la paix sociale, voici que la paix des ménages est en péril!. Leverkhün, lui, est victime de son désir d'explorer la musique dans la recherche d'un absolu, ce qui l'amènera à se retrancher du monde, à se soustraire à son bruit. Et à évoluer vers une abstraction qui le rend abscons et ridicule aux oreilles ... et aux yeux(?) de ses contemporains. L'interprétation de son Apocalypse en 1926, ne rencontrera que "cris malveillants et rires ineptes". [Rappel: La méthode de composition développée par Schönberg servit [...], par le truchement d'Adorno, d'inspiration à celle inventée par Adrian Leverkühn, le héros du roman Le Docteur Faustus de Thomas Mann, écrit à l'époque où tous les trois vivaient en relatif voisinage dans l'exil californien. Le compositeur poursuivra le romancier et le philosophe de sa vindicte, accusant l'un et l'autre de l'avoir « pillé », de s'être « appropriés indûment » son invention. Les tentatives de conciliation de Mann, notamment une dédicace explicite dès le second tirage, s'avérèrent infructueuses]. Ceci rappelle les moqueries des ignorants de la caverne de Platon, que Socrate évoquait avec Glaucon lors du retour de l'homme qui a accédé à la connaissance. Le rapprochement peut se poursuivre. En effet, Leverkhün est un homme seul, isolé du groupe. Il en fuit aussi la violence comme Socrate. Mais il s'en protège plutôt mal. La fin de son existence ressemble à un procès joué d'avance lorsqu'il invite la trentaine de personnes de son entourage et annonce dans un monologue halluciné son pacte avec Satan. Les jurés qu'il s'est lui-même choisi quittent la scène , comme s'ils en avaient assez entendu pour rendre leur verdict; "coupable." Ce discours terrible est bien sûr le  fruit des complications cérébrales de sa syphilis. Mais il résonne comme les aveux que les inquisiteurs extorquent aux hérétiques. Leverkhün est aussi victime de son désir désir de connaître Esméralda, désir fatal qui incarne les liaisons dangereuses d'Éros et Thanatos. Il a consommé le fruit de l'arbre du désir de la connaissance de l'autre qu'a initié la Bible: "C'est pourquoi l'homme abandonne son père et sa mère; il s'unit à la femme, et ils deviennent une seule chair" Livre de la genèse (ch. II verset 24). 

    Il est enfin victime de son propre désenchantement, qu'il pousse dans un cri ultime dans "le chant de douleur du Docteur Faustus", une mise en abyme merveilleuse du mythe, sous forme de pièce musicale fictive, comme l'est la sonate de Vinteuilune œuvre musicale fictive pour piano et violon plusieurs fois évoquée tout au long de À la recherche du temps perdu de Marcel ProustLeverkhün est victime de sa croyance en un ordre caché de la musique et de la connaissance, qui vont le conduire à la plus horrible des découvertes: le néant, l'absence de signification du monde et de nous-mêmes. "Lorsque son neveu adoré, l'adorable Nepomuk, "dernier amour de sa vie", meurt d'une méningite cérébro-spinale foudroyante dans d'horribles souffrances, Leverkhün atteint l'étape ultime de son voyage. Le monde est un non-sens. Tel est l'ultime cadeau de la connaissance. Il peut alors mourir dément, atteint de paralysie générale..." 

    Cela n'est pas sans rappeler la fin de  Elisha ben Abouya plus connu sous le nom de ah'er, dans mon article 1 au chapitre  2-2-2) Vie et destin de quatre talmudistes en quête de connaissance: "A'her était devenu un être dépourvu de croyances, non seulement religieuses, mais aussi et surtout de croyances identitaires et existentielles. Il n'a pu remplacer les lois de la Torah par rien d'autre dans son esprit, tout en ne leur reconnaissant aucune valeur. Il attendait de mourir sans pouvoir croire croire en rien ni en lui-même. Il était devenu fou aussi mort dès sa sortie du paradis de la connaissance".


    2) Des mythes à la réalité (sinon à la véritéou l'art de la mauvaise solution (Première partie; une menace vieille comme le mondechapitre 4)

    Ce sera la conclusion de mon article 1 et de cet article 2 au terme de ce voyage que nous a proposé Lionel Naccache en ces trois lieux symboliques que sont Athènes, Jérusalem et le mythe germanique de Faust où nous avons été face à la dimension mortifère de la connaissance que 3 000 ans de civilisation nous ont transmise en héritage. Cette menace omniprésente est-elle restée confinée dans l'univers imaginaire des mythes et des récits ou s'est-elle concrétisée dans dans la réalité quotidienne des sociétés humaines? Les hommes ont-ils traduit en actes cette conception mythologique du péril de la connaissance et cherché à se protéger par tous les moyens face à un tel danger? Bref, lui ont-ils apporté des solutions? Lionel Naccache pense qu'il est peu risqué d'avancer que l'Histoire regorge de "solutions" apportées à cet antique problème de la connaissance. Mais il qualifie ces solutions de "mauvaises" par convention pour souligner qu'elles consistent à solutionner le problème de la connaissance en le fuyant, à mettre l'individu à distance de cette expérience pour ne plus en affronter les dangers. Ces "mauvaises solutions" n'ont en fait pas été inventées à chaque époques par quelques individus qu'on pourrait qualifier de machiavéliques, capables d'imprimer des croyances à leurs civilisations, mais elles auraient plutôt émergé à partir d'un tissus socioculturel complexe. A chaque époque, nos prédécesseurs ont ainsi imaginé des barrières pour se protéger de l'expérience même de la connaissance. 
    -Dans l'antiquité, les sociétés (égyptienne, grecque, romaine...) avaient une organisation sociale très stricte qui partageaient toutes un même principe de cloisonnement de la connaissance qui pouvait en gros être schématisé ainsi: l'accès à l'instruction était réservé à une élite minoritaire alors que les masses populaires restaient en général illettrées et incultes, nourries par un ensemble de croyances et de repères favorables à la stabilité sociale. Ce n'était pas le fruit d'un plan visant à protéger explicitement ces sociétés des méfaits de la connaissance, mais le problème était ainsi résolu de la manière la plus radicale qui soit. Le cloisonnement était donc "la mauvaise solution" antique au problème de la connaissance.

    narthex.fr/news la dame à la licorne (la peur?)

    -Au moyen-âge, l'Europe a fait un autre choix. Sa "mauvaise solution" fut celle d'un obscurantisme religieux fondé sur la peur, peur de la mort et de l'enfer, la dichotomie   bien-mal et sur le mécanisme de rédemption par la soumission à un discours religieux qui a stérilisé la pensée pour les masses incultes. Cette "mauvaise solution" a donné sa pleine mesure dans la formule du manuel des inquisiteurs: "Nous ne devons pas en savoir plus qu'il ne faut". Ce n'est pas ce que nous avaient appris Icare, la caverne de Platon et Socrate et les rabbins du Talmud, pour qui la connaissance ne peut être définie en aucune façon, mais reste un voyage infini auquel on ne saurait fixer par avance un terme balisé. Cette apologie d'une connaissance limitée était certainement une forme de malhonnêteté intellectuelle qui s'est manifestée sous deux formes complémentaires: D'abord, un "opium du peuple chrétien", lancé dans un anxiogène travail de rédemption sans fin épuisant les efforts mentaux des individus, et en suite, pour les plus lettrés, l'établissement d'une seconde barrière avec la promotion d'une connaissance dénaturée: "pas plus qu'il ne faut". Ici encore, ces mécanismes ne sont pas la création d'un homme seul, comme le moine machiavélique, comme le terrible Jorge de Burgos, aveugle du roman "Le Nom de la Rose" de Umberto Eco ni d'une société secrète, genre Opus Dei, mais l'émergence d'une pensée collective. 

    -Entre le moyen-âge et les Lumières, la période de la renaissance semble flou à plus d'un titre. C'est une période de relecture de l'Antiquité avec un renouveau artistique et intellectuel, un feu d'artifice des beaux-arts la diffusion des savoirs par l'imprimerie. C'est un nouveau rapport à la connaissance avec l'humanisme d'Erasme et Montaigne et les découvertes géographiques et culturelles. Les milieux éduqués demeurent minoritaires, mais cette période préfigure la possibilité des Lumières. 
    -La révolution des Lumières s'oppose à l'obscurantisme médiéval ("?") et aux traces qu'il avait laissées dans les sociétés et les mentalités. Elle aboutit à la tentative de débarrasser la connaissance des barrières que les périodes précédentes avaient avaient érigées. C'est donc un décloisonnement contre la "mauvaise solution" antique et celles qui ont suivi et c'est une ouverture des savoirs, dans leur plus grande diversité, à tous ou plutôt à chacun. C'est l'espoir du souci de l'individu contre la masse indistincte, de chaque individu, avec le souci d'éclairer et de le libérer de ses chaînes, de le sortir de ses croyances considérées comme débiles et confuses. C'est une réponse à Socrate (et Platon) et à Glaucon: on peut briser les chaînes des aliénés qui croupissent dans la caverne depuis le fond des âges, et les aider à se lever pour voir directement la lumière du soleil et les objets tels qu'ils sont, plutôt que de contempler les ombres infidèles, obscures et trompeuses (vanité peut-on penser avec "le réel voilé" de Bernard d'Espagnat)! Les Lumières, contre le divin Socrate, qui n'était qu'un homme seul, les esprits de "l'Enlightement" anglais et de "l'Aufklärung" allemand, "se sont dressées comme un seul homme pour défaire les entraves mentales des masses". Ce fut un décloisonnement absolu de la connaissance dont le symbole emblématique, l'Encyclopédie, oeuvre collective dirigée par Diderot et D'alembert, est conçue comme un dictionnaire universel des savoirs mis à la disposition de chacun.

    La seconde barrière qui vola en éclats fut celle de l'obscurantisme religieux et de ses oripeaux diaboliques qui condamnait les excès du savoir et les savoirs hérétiques. Ce fut une réponse cinglante et définitive au "Manuel des inquisiteurs", qui redonnait voix au poète HoraceSapere Aude!: (aie le courage de savoir), et nous la retrouvons par la voix d'Emmannuel Kant: les Lumières ont répondu à cette peur de savoir, de trop savoir, insufflée dans les esprits, avec l'ouvrage Réponse à la question: «Qu'est-ce que les Lumières?» 

    Dans cette période s'enracine notre condition contemporaine face à la connaissance, à la fois dans ce recèle comme richesses, mais aussi comme source de problèmes spécifiques. Mais elle fut aussi marquée par l'apparition d'une nouvelle "mauvaise solution", la censure politique qui commet ses premiers forfaits de grande ampleur, en réaction justement à ces libres savoirs que les pouvoirs en place redoutent plus que tout. 

    -Enfin, nous rencontrons les idéologies du XXè siècle marquées par deux régressions majeures, le nazisme et le communisme où la connaissance devient totalement asservie à l'idéologie et aux objectifs militaires, politiques, raciaux, sociaux de ces régimes. Il y a déconnexion du réel avec utilisation de la propagande pour de masse fondée sur les moyens de communication unidirectionnels que sont la presse, la radio et la télévision autorisant un travail de manipulation centralisé qui aboutit à "une hallucination collective", c'est à dire à une distorsion du réel, qui est troqué contre une certaine représentation de ce réel, celle qui épouse l'idéologie du régime. Du fait de sa diffusion massive, elle pousse les individus à penser et à croire que ce qu'on leur propose.n'est pas une représentation d'un réel parmi les possibles, mais le réel tel qu'il est et tel qu'il doit être. Ainsi, dans ces régimes, la connaissance devient telle qu'on retire la couche de la représentation et de l'interprétation du réel pour faire converger les croyances des individus sur un format commun. Ces idéologies "enterrent" la distinction faite par Kant entre le "noumène" (terme employé à l'origine par Platon pour désigner les « Idées », c'est-à-dire la réalité intelligible (par opposition au monde sensible), accessible à la connaissance rationnelle. Au contraire, chez Emmanuel Kant, auquel le terme de « noumène » renvoie le plus souvent, il s'agit de tout ce qui existe et que la sensibilité ne peut atteindre, restreignant par là les prétentions de la raison quant à la connaissance. « Noumène » est parfois considéré comme synonyme de chose en soi, faisant référence aux faits tels qu'ils sont absolument et en eux-mêmes, par opposition au terme de phénomène, faisant référence à ce qui est connaissable) et le "phénomène" (L’effet produit par un objet sur la capacité de représentation, dans la mesure où nous sommes affectés par lui, est une sensation. L’intuition qui se rapporte à l’objet à travers une sensation s’appelle empirique. L’objet indéterminé d’une intuition empirique s’appelle phénomène). 

    Mais n'en subit-on pas encore aujourd'hui des effets insidieux par ce qu'on peut désigner la pensée unique sous la forme de pensée dominante alors que les Lumières et leur science, puis la pensée scientifique moderne ont cru fonder, en particulier par la démarche scientifique "l'ensemble des connaissances et études d'une valeur universelle, caractérisées par un objet et une méthode fondés sur des observations objectives vérifiables et des raisonnements rigoureux. La volonté de la communauté scientifique, garante de l'actualisation du contenu des sciences, est de produire des « connaissances scientifiques » à partir de méthodes d'investigation rigoureuses, vérifiables et reproductibles. Quant aux « méthodes scientifiques » et aux « valeurs scientifiques », elles sont à la fois le produit et l'outil de production de ces connaissances et se caractérisent par leur but, qui consiste à permettre de comprendre et d'expliquer le monde et ses phénomènes de la manière la plus élémentaire possible — c'est-à-dire de produire des connaissances se rapprochant le plus possible des faits observables. Non dogmatique, la science est ouverte à la critique et les connaissances scientifiques, ainsi que les méthodes, sont toujours ouvertes à la révision. De plus, les sciences ont pour but de comprendre les phénomènes, et d'en tirer des prévisions justes et des applications fonctionnelles ; leurs résultats sont sans cesse confrontés à la réalité. Ces connaissances sont à la base de nombreux développements techniques ayant de forts impacts sur la société"

    -Finalement, mythes et réalité, même combat, même message: pendant plus de 3000 ans, la connaissance a été vécue comme un poison vital mais, désormais nulle menace à connaître ne semble plus habiter les discours dominants de nos sociétés, la connaissance ne poserait plus aucun problème au contraire? Vraiment? Pourquoi et comment notre discours a t-il pu évoluer si rapidement, en rupture radicale avec tous ceux qui l'avaient précédé? Est-ce la menace qui a disparu ou nos yeux ne la vient-elle plus? Serait-ce un cadeau non intentionnel de notre époque? Cadeau de notre techno-science, de l'émancipation religieuse et sexuelle, de l'évolution des consciences toujours plus avides de transparence et qui toutes valorisent la connaissance? Icare serait-il un ringard? Pourtant, le thème de la connaissance qui tue n'était pas un secret qui ne circulait qu'au sein des cercles protégés et instruits. Comment, en l'espace de quelques dizaines d'années, le paysage intellectuel aurait-il été aussi radicalement transformé? Aurions-nous coupé le cordon avec les mythes et leurs traductions sociales et historiques?

    -Ou bien... Il faudrait plutôt considérer l'autre hypothèse: la connaissance aurait conservé l'essentiel de ses menaces. Elle serait toujours mortifère, pour l'individu, pour le groupe social et pour le couple. Si tel est le cas, il faudrait alors expliquer pourquoi notre discours actuel ne contient aucun signal d'alarme ni aune zone d'ombre. Serions-nous capables de nous autoproclamer "sociétés de la connaissance" sans nous mettre en garde contre ses effets nocifs? Ce serait sans aucun doute tenir un discours "bonasse" inspiré de la méthode Coué, sans nous rendre compte de son inadéquation  au réel de son caractère profondément erroné. 

    -Alors, comment procéder pour avancer? Lionel Naccache propose de prendre appui sur un invariant commun aux trois mille années qui nous ont précédés, ainsi qu'à notre époque contemporaine, c'est l'enracinement cérébral de notre faculté à connaître, c'est à dire la prise en compte des propriétés psychologiques et neurologiques qui font de nous ce que nous sommes depuis bien plus de 3000 ans, peut-être 30 000 ou plus, en fait des êtres de savoir, des hominidés de la connaissance.


    Dans le prochain article, l'article 3, Nous avancerons en commençant par approfondir ce que la Révolution des Lumières et la science nous ont apporté et changé, avec l'introduction à la deuxième partie du livre "Perdons-nous connaissance?": La connaissance, une histoire de neurosciences-fiction. Nous découvrirons que lorsque nous réfléchissons à la connaissance, il est indispensable de prendre en compte la dimension de la fiction dans laquelle s'enracine notre subjectivité.  Pas de connaissance sans sujet et donc pas de connaissance sans fictions-interprétations-croyances. 

    Ensuite nous évoquerons la troisième partie du livre, à lui seul tout un programme: MALAISE CONTEMPORAIN DANS LA CONNAISSANCE.

     

    liens:

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Arnold_Sch%C3%B6nberg: Arnold Schönberg

    https://www.mahj.org/sites/mahj.org/files/dp_schonberg.pdf: Arnold Schönberg. Peindre l’âme

    La figure de Faust.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Docteur_Faustus Le roman est une biographie fictive d'un musicien, Adrian Leverkühn (1885-1940), racontée par son ami de longue date Serenus Zeitblom : celui-ci commence la rédaction du récit le 23 mai 1943, soit un peu plus de deux ans après la mort du compositeur, et la termine en 1945. Le roman est une biographie fictive d'un musicien, Adrian Leverkühn (1885-1940), racontée par son ami de longue date Serenus Zeitblom : celui-ci commence la rédaction du récit le 23 mai 1943, soit un peu plus de deux ans après la mort du compositeur, et la termine en 1945.

    https://journals.openedition.org/germanica/2414Philosophie de la musique dans le Docteur Faustus de Thomas Mann

    https://reseauinternational.net/le-mythe-de-faust-lor-et-la-prochaine-debacle/: Economie, crise, Brexit, Franxit, chute des monnaies, fin chaotique ou provoquée de la zone euro, énième krach boursier, gestion de Trump, nous avons tous peur de ce qui va se passer.

    https://la-philosophie.com/platon-caverne-allegorie: L’allégorie de la Caverne présente la théorie des Idées de Platon, qui constitue à la fois sa métaphysique (= sa théorie de la connaissance) et son ontologie (= sa théorie de l’être et du réel).

    http://www.philo-bac.eu/auteurs/platon/caverne.html: Le monde sensible, représenté par la caverne, est une illusion et un piège pour les hommes. La vérité est à l'opposé de ce que nous considérons comme le réel. Notre âme doit sortir de cette prison pour trouver la vérité. Mais le chemin qui mène à la connaissance est douloureux. Il exige un guide. Celui qui arrive au bout acquiert : Le SAVOIR, la LIBERTE, le BONHEUR, et la COMPASSION.

    https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_2006_num_104_4_7694: Kierkegaard et don juan

     

    http://www.lmm.jussieu.fr/~sagaut/epistemologie-v14.pdf: Introduction à la pensée scientifique moderne

    le second faust:

    https://www.babelio.com/livres/Goethe-Faust-et-le-second-Faust/409667: Faust et le second Faust: J'y vois tout d'abord une allégorie de l'Homme en quête de sens à donner à sa vie. Faust n'a plus guère de foi et du haut de sa science se heurte à des écueils insurmontables. Il voit couler sa vie au fond d'un noir terrier et se dit que bientôt la mort viendra le cueillir sans qu'il ait pu jouir de quoi que ce soit dans l'existence. D'où sa secrète invocation du diable, ou plus exactement, avec l'aval de Dieu, du pourquoi le diable s'essaie à le soudoyer.

    Ainsi donc, selon Goethe, c'est le désespoir qui crée l'appel aux forces du mal et non comme on pourrait le penser de prime abord, l'envie, même si c'est bien l'envie de connaître toujours plus qui pousse Henri Faust à pactiser avec Méphistophélès.

    https://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1968_num_47_1_1960: Puškin et la conclusion du Second Faust






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